Un artisan Chaman
Moulay smail Bour-Qaiba, chaman des temps modernes, spéléologue
infatigable, nous replonge, au moyen de son art, dans 1'abime du temps a la
recherche de ce savoir qui nous fait tellement défaut, en ces jours de disette
culturelle ! Comme support, une simple peau de mouton, vielle peut-être d’une
année : le temps normal d’une grossesse, ou 'un cycle agraire.
De cette plongée, il nous rapporte les
premiers signes de l'homme, les premiers balbutiements, les premiers gestes, en
un mot, la genèse d'un monde lointain.
Cette peau tannée, ridée, qu'il conserve tout
entière, se dessine devant l'observateur comme l'entrée d'une grotte qui
rappelle les temps troglodytes. Il la scelle a son support en bois avec de
fragiles 1anières de cuir teint a l’ancienne, et où domine le jaune safran (ziouani), - couleur d'une grande spiritualité -, obtenu
grâce a l'écorce des grenades séchée, avec son alêne (chfa)
a la manière des chamans d’antan qui incrustaient des Os sur les parois des
grottes pour entrer en contact avec l’au-delà.
Pour donner une meilleure forme a son art,
presque artisanal, Bour-Q6iba va a la recherche des plantes naturelles qui le
rapprochent le mieux de ses objectifs. Mais les mixtures qu'il obtient, il en
est peut-être l'un des derniers dépositaires. Ce sont souvent des sucs de
coquelicot qui rappellent la manière des chamans, qui, dans leurs rites
ancestraux, posaient la main bien ouverte sur les parois de la grotte, la
couvraient de sédiments ocre-rouge, et une fois
qu'ils la retiraient, elle laissait apparaître les
contours de sa trace tendue vers le ciel, en un mouvement incantatoire.
Premier geste, premier balbutiement, premier
pas à la rencontre de deux mondes : celui des lumières et celui des ténèbres.
Sur une partie de la peau luisent des versets de Coran, des fragments
sporadiques de textes d'Ibn al Arabi, d’Averroès,
comme pour calmer les esprits qui hantent ses peaux.
Premier choc de la main de l’homme et de la
terre, griffes de silex, cercle solaire, trait cursif, rectiligne, sur ou
hésitant, premières empreintes d’un esprit tourmenté, face a cette
nouvelle dimension qui lui fait peur.
Les gravures et les peintures rupestres, les
signes dont la source se perd dans la nuit des temps, les symboles
hiéroglyphiques, les triangles de Tanit, déesse de la fécondité; lequels croisait les nervures des peaux afin de donner
naissance au premier alphabet en tifinagh,hébreux,
latin, arabe, tout cela prend forme au moyen du kalam
de roseau que l'artiste a taillé lui-même et qu'il trempe dans le smakh, geste mille fois séculaire, qui
retrouve son éternel prolongement dans la main palpitante de ce jeune
calligraphe dont l'art est au cœur de notre authenticité, et qui pane néanmoins
a tout homme hanté par son passé et qui se pose des questions essentielles sur
son devenir.
Reconnaissance donc a Moulay smaïl pour
cette plongée qui nous laisse perplexes devant ces lieux sacrés sur lesquels se
sont recueillis nos ancêtres, ces portes qui nous introduisent dans un confort
spirituel des plus rassurants, ces remparts qui conservent fidèlement les
traces de notre passage, ces fontaines symboliques qui nourrissaient depuis
toujours notre savoir et purifient notre vision du monde, enfin pour tous ces
palimpsestes de la mémoire qui nous font croire a' une certaine éternité.