Issouka le gué

Issouka source de jouvence

En passant par Timoulilt dans la direction qui mène vers Ouaouizerth, au loin sur les hauteurs de la montagne, la route en lacet serpente vers les pentes abruptes où résistent ardemment des amandiers aux troncs noueux et aux racines spectaculaires en forme de tentacules de pieuvres géantes, qui s’accrochent désespérément à la mince couche de terre que revêt un sol caillouteux.

Emergeant de l’oliveraie, d’immenses citadelles en pisé rappellent la vallée du Drâa et les ksour qui la longent, ils sont majestueux et imposants comme édifices, mais leurs heures sont comptées car ça et là des pans de leurs murs s’effritent sans qu’aucune main secourable ne leur vienne en aide.

Nous traversons Timoulilt, fief des Aït Atta et des Aït Bouzid. Sur une colline à notre gauche, les vestiges d’une ancienne tour de garde tombent et emportent avec eux, les palimpsestes d’une époque des temps révolus, elle aurait eu pour nom I’AATARNE.

Il est quatre heures de l’après –midi en ce début du mois de septembre et c’est sous un soleil de plomb que, sur le vieux véhicule, nous entamons les premières courbes de notre ascension vers le col de Tizi Ghnim qui est à 1389 mètres d’altitude et nous parlons de la descente des eaux du barrage de Bin El Ouidane, qui n’ont jamais atteint ce niveau depuis sa création : nous avions déjà à l’esprit l’image de désolation qui nous attendait.

Sur les bords de la route, elle même en piteux état et où à chaque fois qu’un autre véhicule arrive en sens inverse, il faut déborder sur le bas côté pierreux et mal entretenu, rempli de nids de poules, à chaque sortie, notre voiture cahote de plus belles, seules quelques touffes rabougries d’alfa parsèment le fossé qui nous accompagne. De gigantesques jujubiers aux petites feuilles d’un vert terne contrastent avec le sol nu et la roche blanchie par le soleil. Nous évoquions à ce moment là, les printemps radieux, quand les amandiers sont en fleurs et ce jeu de couleurs blanc et rose qui domine tout le paysage en cet endroit, d’où parvient des ruchers, le bourdonnement en sourdine des abeilles qui s’activent inlassablement de fleur en fleur dans leur rôle de pollinisation.

De lacet en lacet, le véhicule prend de l’altitude et une brise légère nous caresse le visage, des odeurs de pins viennent jusqu’à nous.

Plus bas, au loin, se dessine la plaine du Tadla dans toute son immensité. A droite de Timoulilt, on aperçoit le minaret blanc de la mosquée des Aït Amir et une piste, telle le lit d’une rivière assechée, continue vers les Aït Bou Ali perchés plus haut dans la montagne, face au Jbel Ghnim qui culmine à 2422 mètres d’altitude.

Nous passons près des grottes d’Ifri N’Ouguenous qui sont en forme de cheminée et servent d’abri aux bergers et à leurs troupeaux surpris par la pluie.

Leur structure est très curieuse et sont à découvrir. Elles sont sans aménagement, ce qui rend l’arrêt difficile; d’ailleurs, elles ne sont pas les seules à être en état d’abandon dans cette région de l’Atlas.

Un peu plus haut, face à nous, une piste étroite et envoûtante nous invite à nous y engager et mettre fin à cette ascension pénible.

Nous arrêtons la voiture à quelques mètres seulement de la route, aucun écriteau ni plaque de signalisation ne nous indique où nous sommes.

A notre descente du véhicule, un air frais nous rend immédiatement toute notre vivacité et mille senteurs viennent à nous; nous sommes au cœur de l’Atlas, même la température a changé et la chaleur devient plus supportable.

Nous saurons par la suite que les quelques maisons qui forment le hameau en contre-bas sont celles des Aït Slilou, tribu des Aït Atta et c’est avec un réel plaisir que nous découvrons qu’en dessous de la piste, quelques classes d ‘école sont en cours de construction; la culture pour tous, voilà une noble pensée !

Nous nous engageons sur cette piste qui, après l’école, devient un sentier muletier.

Notre marche est plus alerte, l’air ici est plus revigorant. Nous traversons une clairière où se découpe un champ avec son aire de battage, le long piquet de bois au milieu de ce cercle demeure sans vie jusqu’aux prochaines moissons, alors des ânes, des mules et des juments, menés par une main de maître tourneront et tourneront tout autour au moment du dépiquage, spectacle grandiose et séculaire que beaucoup de nos enfants ignorent.

Les bêtes tournent contrairement aux aiguilles d’une montre, mais dans le sens de la rotation de la terre, c’est là un merveilleux symbole de l ‘existence, battre au rythme du cosmos.

Ici, le temps semble arrêté, seul reste estampé dans notre mémoire le mouvement giratoire de la parfaite communion de l’être avec la nature.

Nous marchons toujours avec entrain sur ce sentier qui peut être classé facile pour les randonneurs non expérimentés. J’y aurais volontiers mis une pancarte avec les indications suivantes :

"  SOURCE ISSOUKA . Altitude 1015 mètres à une heure de marche facile. Attention la nature est fragile, n’y laissez aucun déchet S.V.P. "

         A notre droite, une réserve de chasse. Sur ce flanc de montagne épargné par les bêtes et les hommes, une végétation dense et luxuriante nous rappelle ce qu’à dû être la forêt autrefois.

         " 25 septembre 1883 . Départ à 6 heures et demie du matin. Trois zetats m’accompagnent, un de la tribu des Beni Mellal, deux de celle des Aït Atta d’Amalou. Ouaouizert, où je vais, est située au pied méridional du Moyen Atlas, qui sépare la plaine Tadla du cours de l’Ouad el Abid, et dont, depuis Tagzirt, j’ai longé au bas le versant nord. J’ai donc à franchir cette chaîne. Les pentes en sont généralement escarpées, dès qu’elles deviennent assez douces pour être cultivées, elles se couvrent de champs et des habitations apparaissent ; mais ces endroits sont rares : presque toutes les côtes sont raides et boisées ; sauf les places défrichées, clairières éparses de loin en loin, les flancs du massif sont rêvetus d’une épaisse forêt : les lentisques, les caroubiers et les pins y dominent : ils atteignent une hauteur de 5 à 6 mètres. Le sol est moitié terre, moitié roche ; celle-ci n’apparaît point ici sous forme de longues assises, mais en blocs isolés qui émergent de terre entre le arbres. Une foule de ruisseaux d’eau courante arrosant l’un et l’autre versant. Le chemin, constamment en montagne, pénible partout, est très difficile en deux endroits : d’abord, au sortir de Qaçba Beni Mellal, au passage nommé Aqba el Kharroub ; puis à l’approche du col, Tizi Ouaouizert, que précède une montée fort raide. "

Nous poursuivons notre chemin avec le sentiment d’être dominés tant le sommet de Jbel Ghnim dont la face nord est dénuée de toute végétation nous paraît inaccessible. L’homme se rend compte de sa vraie dimension. Mille regards doivent nous observer en ce moment, des bruits de bêtes furtives qui rampent sur les feuilles mortes du sous bois, cette sensation du vide nous hypnotise. Loin derrière, tous les bruits de la ville, ce silence auquel nos oreilles ne sont plus habituées nous surprend sur le moment.

L’écho mélodieux de chants amazigh nous parvient du fond de la vallée que renvoient les parois des falaises profondes de cet immense amphithéâtre.

Parfois, le sentier passe près de parois rocheuses de la montagne faites de dalles verticales, des parois lisses et striées de nervures formées de sédiments de terre et de cuivre sur lesquelles ont poussé des chênes et des figuiers sauvages dont les racines s’agrippent à la roche dans un ultime combat pour la vie. Ces toiles géantes me rappellent la peinture de Mahjoubi Aherdane. Un sentiment de liberté nous enivre et j’aurais aimé que cet instant s’éternise. Encore une fois, le retour sera pénible, plus haut, toujours plus haut, telle est la devise du randonneur. Je voudrais dire ici que le tourisme de montagne n’est pas une activité quelconque, c’est avant tout un tourisme culturel. Sommes-nous assez armés pour le développer ? ceci reste un pari à gagner.

Aussi loin que puisse aller notre regard, au dernier repli de cette vallée, s’élancent majestueusement vers le ciel sept peupliers au feuillage allant du vert à l’ocre et démontrant encore une fois un automne qui tarde à venir et avec lui les pluies bénéfiques. Dans ce repli, la végétation et le vert dominent nous pressentions la présence d’une source et notre curiosité nous pousse à atteindre cet endroit. Notre soif nous pousse aussi à aller plus vite, la végétation devient plus envahissante et les arbres plus grands, un chêne géant en duel avec une vigne grimpante terminent leur combat plus haut vers le ciel, hors de portée de notre vue.

Ici, la main de l’homme, pour soutenir le petit sentier contre l’érosion, a érigé un petit muret de pierres soigneusement posées et c’est par le dédale de cette enceinte que l’on arrive à la source où des hommes au repos semblent être là depuis la nuit des temps, apprécient le murmure de l’eau et la fraîcheur du lieu.

Salam ouâa likoum…, formules de politesse échangées, nous nous enquérons du nom de cette source auprès de ces hommes dont les visages évoquent une éternelle jeunesse, il n’en reste qu’un mince filet mais dont la limpidité et la saveur resteront gravées à jamais dans notre mémoire.

Ici ! on appelle la source Issouka, les hommes Issouka, le lieu Issouka. Sur le chemin du retour, je méditais sur les propos de ces gens, et, si ce filet d’eau venait à tarir ?

Salah Chenni